Sinclair a beau avoir traversé tous les états du pays, il n'a jamais pu se faire à la chaleur têtue de Millden. À cette période de l'année, Chicago retrouve ses matins brumeux, ses jours gris et ses nuits pluvieuses. C'est plus facile de penser aux fêtes de cette manière - que ce soit Halloween ou Noël, on s'adapte facilement. Ici, le sable roux qui tapisse les alentours de cette fichue ville donne l'impression d'un paradis lassant et sempiternel. Tous les soirs, Sinclair est obligé de donner des bons coups de balai dans sa caravane pour dégager ces saloperies de grains de sable qui s'incrustent dans son paillasson. Si encore il pouvait entendre les vagues au loin - mais non ! Il doit se taper une vue triste sur le désert, par-delà les limites floues de la ville. Pourtant, difficile de détester ces terres. Il les tient dans son coeur, chaleureusement, parce qu'il sait qu'il y est né. C'est dans ses tripes, il veut apprendre à aimer cet endroit de malheur - et pour ça il faut y vivre.
Voilà ce qui anime sa pensée, dans un premier temps.
Dans un second temps, qui disons-le tout de suite, est beaucoup plus concret, Sinclair cherche à s'épanouir dans n'importe quelle activité qui puisse l'éloigner de ses addictions. Il est revenu du marché avec deux énormes citrouilles. C'est la première fois qu'il en achète. Il n'imaginait pas ces trucs si lourds. Il a angoissé tout le trajet (ou presque) d'en faire tomber une sur son pied et de boiter jusqu'à la fin de ses jours.

Bien entendu, son trajet n'allait certainement pas le mener jusqu'à la foire. Non, il a traversé la ville fièrement (et en sueur) jusqu'au domicile de Rosaura (sans oublier d'avoir pesté tout le long "quelle idée de merde" et d'autres joyeusetés). Devant la porte, il pose les citrouilles et sonne. En moins de trois secondes, il perd patience et fait rouler ses citrouilles plus loin que le perron d'un coup de pied afin de les mettre en évidence sur le gazon devant la maison. Il en fait de même, les mains sur les hanches, le regard rivé sur la fenêtre ouverte de la chambre de Rosaura.
« Hey, ça te dit pas de faire comme ces connards de riche et de creuser des citrouilles comme si on avait que ça à foutre de nos journées ?! »