DECEPTACON //Sinclair

Jeu 14 Sep 2023 - 18:32

I'm outta time, I'm outta fucking time
I'm a gasoline gut with a vaseline mind, but wanna disco? wanna see me disco? let me hear you depoliticize my rhyme

Jeudi dernier, Sinclair Ipkiss a volé la boîte aux lettres d’Isaiah Lamoreaux, en toute impunité devant chez celui-ci. C’est une infraction. C’est condamnable donc—pourtant ce jeudi-là pas un flic n’est venu ni constater les faits ni appliquer la loi, en fait, pas un flic n’a été contacté par téléphone parce que ce n’est qu’une boîte comme il y en a des tonnes, de toutes formes et couleurs—facilement rachetable. Aussi, parce que c’est un délit; mais au-delà de ça c’est une analogie. Il y a du symbolisme là-dedans, dans cet acte, et dans le creux inesthétique qu’il a laissé derrière jurant sur la pelouse—c’est une insulte, mais peut-être que le mot est grand alors, c’est un message, dont le sous-texte dit sûrement je t’emmerde et viens chercher si tu es brave, je t’attends de pied ferme.

Désormais, c’est lundi. L’après-midi passé. Et si il s’est garé maintenant au parking, maintenant et pas avant, ce n’était pas de peur mais par manque de temps—Sinclair n’est pas crucial, et tout comme la lutte des classes Isaiah se moque bien des querelles entre hommes. Il n’y a qu’à voir l’effet que peut lui faire la guerre—n’importe quelle guerre, à la télévision—il la toise dans les yeux aux infos de vingt heures, sans pleurer, sans la porter au coeur vu qu’elle n’est pas la sienne. Même la discorde du jour. Il la vit sans la ressentir aux tripes, encore moins souffrir d’elle, quand il sort de la bagnole la portière ne claque pas et il prend carrément sa veste et l’instant nécessaire pour s’en rhabiller net. Ce qui l’embête à la limite c’est d’avoir à marcher ici, parmi la foire, où les sentiers en poudre déposent une poussière fine et pénible à brosser sur les souliers en cuir. Il pense à la corvée, d’avance, au moment de la halte. Planté sur le perron d’une énième roulotte, Isaiah frappe la porte de la tranche du poing—trois fois—puis considère la cendre rousse à ses pompes. Claque sa langue au palais. Zieute ensuite la case postale, repiquée à deux pas, qu’il a le droit d’embarquer légitimement elle est à lui—mais lui n’est pas un rustre, tu vois.
Tu ouvres. Il te regarde, et même il t’intitule, « Ipkiss. » Laisse planer cinq secondes après quoi il sourit. « Qu’est-ce qui vous a plu chez l’objet—son fer blanc ? Son clapet ? Le petit drapeau peut-être, » rouge, amovible, que le facteur lève pour aviser des lettres, « c’est vrai qu’il est pratique—vous découvrez ? » Là le sous-texte dit probablement que oui ! Etant donné que tu es un bouseux commun.

Jeu 14 Sep 2023 - 19:12

Chicago a laissé dans ses gênes une trace indélébile. Elle est un peu grossière, loin de celle qui rend charmant les gangsters de cette cité pleine de diables. C'est sûrement ce qui le pousse à la délinquance. Certainement pas parce qu'il n'est qu'un sombre fumier. Après de longs mois confinés ici, ces terres rousses sont devenues assez familières pour être appelées maison. Et quand bien la sienne a des roues, Sinclair veut la choyer, lui offrir une petite gueule qu'on peut ouvrir béante pour l'étouffer avec le journal local tous les matins. Rien que pour les mots croisés. De toute manière, il n'a que ça à recevoir ; le journal. Exit les cartes postales et les lettres aux élans littéraires car il n'a jamais eu dans son entourage que des imbéciles endettés (dit-il, en tout cas).
En installant sa flambant neuve boite aux lettres ce matin devant sa caravane, il s'est presque senti citadin. Pour se féliciter de cette acquisition (car il en avait fallu du courage pour retirer le piquet de la pelouse), il s'en est allé au McDonald's à proximité. Un hamburger, des frites et un coca.
Les paquets éventrés jonchaient sur la petite tablette de l'habitacle. À l'intérieur et en connaissant son propriétaire, on imaginerait plutôt quelques billets gagnés malhonnêtement, des restes de poudre blanche ou peut-être rien qu'un cendrier débordant de vieux mégots. Il n'y a rien de tout ça - pas même l'odeur d'une clope froide persistante.

La radio près de lui, tandis qu'il déguste son repas de fin gourmet, crache les informations du jour. Il les lit en même temps sur le quotidien, quand il ne griffonne pas les sourires des photographies pour donner l'air édenté à ceux dont la tête ne lui revient pas. Il s'appliqua particulièrement à enlaidir davantage le président Nixon. Puis, entre deux frites, il jette un coup d'oeil rapide par la fenêtre. Les mômes du voisinage aiment bien se faufiler entre les caravanes dans l'espoir d'y voler quelque chose. Paraît-il que sa camarade à la foire, Angela, avait vu un cheval en bois se faire embarquer l'autre nuit par des adolescents. Sinclair, depuis, les attendait - il tient près de lui sa carabine, prêt à faire décamper tous ces morveux mal élevés.
De toute évidence, il a presque oublié être un grand morveux mal élevé dans l'histoire de quelqu'un d'autre. En voyant la sale tronche de Lamoreaux débarquer dans son humble demeure, ses yeux font un looping dans ses orbites bien cachés derrière des lunettes de soleil. Il a entendu suffisamment de mots (trois) pour être agacé - aussi il tend la main vers la radio pour tourner la molette et augmenter le volume sonore. « Je t'entends pas fils de pute, parle plus fort pour voir ! » Et le rock fait vibrer l'intérieur de l'habitacle, même la vaisselle de grand-mère entassée dans un coin peine à rester tranquille.

Ven 15 Sep 2023 - 0:34

I'm outta time, I'm outta fucking time
I'm a gasoline gut with a vaseline mind, but wanna disco? wanna see me disco? let me hear you depoliticize my rhyme

La blaste de décibels l’a fait plisser les yeux—rien qu’un peu, furtivement. Ou plus exactement, c’est l’apparition de Sinclair et tout le tintamarre aussi sonore que visuel, sautant à la figure, qui l’avait ébloui de la même manière qu’un tesson de verre flashe au soleil. En résulte un éclat cinglant, foncièrement agressif. Comme si le boucan avait été cet éclat—un crachat au visage sinon—Isaiah temporise en plusieurs étapes. Il se froisse, mais à peine, après ça l’expression revient à zéro et il passe sa paume sur sa joue l’air de chasser une tache, l’insulte, la vision de Sinclair et sa vulgarité.
Partant de là il ne commente pas, ne rétorque pas non plus. Il paraît calmement mater dans la roulotte on dirait soucieux, avec du savoir-vivre, d’avoir, on ne sait pas, peut-être interrompu quelque chose d’important, un événement heureux, ta fête d’anniversaire vu la musique hurleuse; il paraît penaud mais c’est faux, c’est feint, c’est la physionomie du vendeur qui craint de troubler le lambda chez qui l’on a sonné, celle qu’il fabrique chaque fois qu’il toque où que ce soit. En même temps qu’il observe l’intérieur étriqué, au verso de Sinclair, il finit par causer des termes inaudibles, tous dévorés par le volume vibrant les murs. « J’aurais dû t’envoyer les flics. Je suis sûr qu’ils te l’auraient mise sans dessus-dessous ta caravane pourrie—foutu tout un bordel là-dedans, et peut-être qu’ils auraient réfléchi, du coup, à si c’est bien prudent de laisser le terrain à une bande de forains qui vendent des hot-dogs. Accessoirement. Quand ils volent pas les gens. » Tout ça se noie sous les lyrics, naît pour être sauvage mais pas intelligible—ça meurt exprès avant d’atteindre ton oreille, tombe dans celle d’un sourd.

Parce qu’il se sentait mieux une fois tout ça prononcé, Isaiah retrouve son rictus, aimable comme il l’était, comme si il l’avait lâché par pure inadvertance—il le ramasse, et s’en revêt. A ce moment il peut alors parler plus fort, oui, si tu insistes Sinclair !
« Est-ce que je peux récupérer ma boîte aux lettres, Ipkiss ? Et si non, elle m’a coûté 130$—mais à vous je veux bien la faire à moitié prix. » Mais voyons c'est normal. « Vous êtes tellement aimable ! »

Sam 16 Sep 2023 - 16:11

Sa mauvaise volonté, il préfère la mimer plutôt que d'en faire un réel problème. Nouer des liens sans animosité lui paraît inconcevable. En fait, Sinclair préfère les éclats aux surfaces lisses ; prendre le risque de s'écorcher mais d'en sortir vivant c'est une sorte de fierté dégoûtante dont lui seul à le secret. Pas qu'il trépigne à l'idée d'aller vider quelques verres aux côtés de Lamoreaux et encore moins d'en savoir plus à son propos ; il n'en veut pas comme ami mais l'idée d'un ennemi de plus semble l'amuser. Aussi s'il feinte ne rien écouter, c'est faux. Le son de la radio, même s'il est fort, ne le protège pas du reste du monde. Il faut dire que la voix grésille et n'a plus rien de charmant, la guitare sonne comme un bruit sans finesse si bien que les mots de Lamoreaux paraissent un rien agréables. Il ne se sent pas honteux d'être débusqué non plus. Sinclair savait que ce jour viendrait - ce n'est pas pour autant qu'il compte réparer ses erreurs.
Il prend une inspiration et baisse le volume. Comme s'il était temps d'avoir une discussion d'adulte avant de lever la punition.

Sinclair pivote sur sa banquette. Il mange une frite avant de reposer sa main sur son arme comme une menace. Il s'affale un peu plus. Il paraît prêt à tuer en toute décontraction. Ne le fera pas, mais c'est l'image qu'il aime bien se donner. « Ta boîte aux lettres ? » Il répète avec audace avant de se pencher pour essayer de la voir depuis la fenêtre. « Y a pas ton nom marqué dessus, qu'est-ce que tu m'emmerdes ? » Tout ça c'est dans ta tête, Lamoreaux, tu vois bien, arrête ton cirque !
Puis d'un geste de la tête il désigne la sortie. « Sors de là, fumier. » Lui aussi se lève, comme s'il valait mieux régler ça à deux, entre hommes, et surtout dehors. « Y a trop de coins pour te cogner là-dedans ça me titille de partout ! » Faut dire que l'espace est étroit et qu'on a vite fait de perdre une dent contre un rebord.

Sam 16 Sep 2023 - 21:57

I'm outta time, I'm outta fucking time
I'm a gasoline gut with a vaseline mind, but wanna disco? wanna see me disco? let me hear you depoliticize my rhyme

Isaiah se cantonne au seuil de chez Sinclair et pas plus loin encore, en toute logique d’invité surprise avec de bonnes manières—on pourrait croire mais ce n’est pas ça. Pas tout à fait. Ce n’est pas son éducation qui le tient immobile, présentement, de la même façon qu’on n’est pas quelqu’un d’éduqué quand on reste en-dehors d’un ring ou d’une cage aux lions grande ouverte—refuser de frapper les hommes ou de se confronter aux fauves n’a rien de civilisé. C’est le strict minimum lorsqu’on n’est pas une bête que de ne pas céder à l’envie de carnage. C’est le strict minimum ce qu’il fait là, du coup, en se tenant debout sur le pas de la porte.
La moindre des choses et pourtant il en fait l’effort, Isaiah, ça lui coûte pratiquement d’incarner les adultes tandis que Sinclair le menace, qui plus est puéril, parce qu’il n’y a qu’aux gamins qu’on pardonne la bagarre—aux gamins et aux chiens. A eux l’on peut crier: dehors ! Allez jouer, allez courir, allez vous cogner ou vous mordre—comme vous voulez du moment que vous faîtes ça dehors—mais à Sinclair et Isaiah ces mots gueulés vont mal, sont scandaleux, inadmissibles. Justement, pour ça qu’il doit se faire violence alors même que Sinclair a montré l’arme à feu, puis les dents—alors même qu’il crie: dehors ! « Afin qu’on puisse en venir aux mains tu veux dire ? » Il demande sans vouvoyer et faussement idiot—alors même qu’il a bien vu, bien entendu, par conséquent bien compris et qu’il sait que c’est bas, de bien aimer l’idée.
N’étant ni un gamin, ni un clébard, il est attendu d’Isaiah qu’il décline poliment. Sauf qu’après un instant de réflexion bâclée, il jette un oeil à l’extérieur—dehors—dehors l’ennuie beaucoup.
« Devant chez toi, c’est salissant. » Et sous les yeux de tous.
Mais allons-y. Le ring, la cage aux lions—ce sera là dehors.
« Bref. Tu parles ou tu tapes ? » En tout cas décide-toi.

Dim 17 Sep 2023 - 14:21

Depuis le pied de sa caravane, on peut observer les hauteurs des chapiteaux de la foire sous lesquels sont abrités des stands et des arnaques pour adolescents. L'odeur du sucre flotte jusqu'ici et se mêle étrangement bien à celle du sable soulevé par la brise chaude estivale. À quelques mètres de là, un tumbleweed traverse le terrain à vive allure comme pour accompagner leur querelle. Sinclair, toujours la main sur la carabine, paraît plus décontracté que sur sa banquette. Il a l'air fier et goguenard, mais en même temps pas bien menaçant. Lorsqu'il se met à la même hauteur que ses interlocuteurs, sa prestance n'existe plus qu'au travers de sa bouche. Il n'y a que les enfants qui ont peur de lui. Les adultes, les plus sensés en tout cas, se contentent de le détester du coin de l'oeil.
Tout ça pour dire qu'on ne vient jamais trop le titiller quoiqu'il en soit, car tout le monde à Millden et parmi les forains s'est accordé qu'il y a toujours mieux à faire que de débattre avec ce Ipkiss. Pour cause, il a toujours réponse à tout.

Cette fois, il fait le choix d'infantiliser Lamoireaux. D'expérience, les types qui portent bien la cravate et la chemise le prennent plus mal que les autres. « C'est toi qui va parler, mon salaud. » Il désigne la boite aux lettres mal plantée dans le sol, qui penche comme une misérable vers l'arrière. « Tu m'accuses de je sais pas quoi comme si j'avais que ça à foutre. Vas-y, prouve-moi que c'est ta boite aux lettres ou va te faire foutre. T'as pas quatre heures pour me convaincre que je suis en tort. » Il ne le sera jamais ; Sinclair triche tout le temps à ce jeu là.